Alberto Magnaghi
LA BIORÉGION URBAINE
Petit traité sur le territorie bien commun
Rayon: architecture, urbanisme, écologie
ISBN: 979-10-93250-00-7
176 pages
Prix : 15,00 euros
Parution: Avril 2014
Biorégion urbaine: c’est l’ensemble des relations sociales, économiques et culturelles qui caractérisent les espaces à l’âge de la révolution urbaine.
Villes, collines en terrasses, campagnes travaillées, forêts animées, ont chacune des métabolismes qui se sont transformés à travers les civilisations successives, mais qui toujours entretiennent des structures vivantes. Le territoire, compris comme un système vivant naît et grandit. Il peut tomber malade, il peut mourir quand la relation de synergie est interrompue – nous parlerons alors de « crise des civilisations » – mais il peut aussi renaître.
L’ouvrage: l’urbanisation du monde est elle irréversible? Pourquoi faudrait-il l’arrêter, l’ « air de la ville » rend libre, n’est-ce pas?
Effectivement, il fut un temps où il permettait de s’affranchir du fief, puis quand aller chercher un salaire à l’usine libérait de la fatigue des champs. Mais aujourd’hui, la ville, cette terre promise, n’est plus qu’un mirage. Le plus grand exode de l’histoire de l’humanité est à l’Oeuvre : d’une part vers l’hyper-espace télématique, assujetti à la domination des réseaux globaux et, d’autre part vers lesmega-cities ou méga-régions de dizaines de millions d’habitants du Sud et de l’Est du monde.
En 2050, sur 9 milliards d’habitants 6,4 seront des urbains selon l’ONU. Mais les protagonistes de ce méga-exode n’arrivent plus « en ville », ils arrivent dans desurbanisations post-urbaines démesurées et sans fin. Ces produits exponentiels des processus de déterritorialisation ont déjà gagné les banlieues de la ville-usine occidentale et ils se traduisent par la rupture des relations culturelles et environnementales avec les lieux et avec la terre, la perte des liens sociaux, la dissolution de l’espace public, des conditions d’habitat dé-contextualisées et homogènes, et la croissance de nouvelles pauvretés.
Dans la civilisation des machines, ce « royaume » du post-urbain, et du post-rural s’est construit par la rupture des relations de co-évolution entre les établissements humains, la nature et le travail, qui caractérisaient, avec leurs bienfaits et leurs méfaits, les civilisations précédentes. La voie de la déterritorialisation sans retoura été ouverte par l’enclosure des commons, la privatisation et la marchandisation progressives des biens communs naturels (la terre, d’abord, puis l’eau, l’air, les sources d’énergie naturelle, les forêts, les rivières, les lacs, les mers, etc) et desbiens communs territoriaux (les villes et les infrastructures historiques, les systèmes agro-forestiers, les paysages, les ouvrages hydrauliques, l’assainissement, les ports, les installations de production énergétique). Cette déterritorialisation a transformé les habitants en consommateurs individuels, en clients du marché, et les lieux en sites voués à des fonctions qui servent la logique des réseaux globaux. L’urbanisation de la planète qui engendre ce processus est catastrophique. Elle conduit à la fin de la ville par la mutation anthropologique qu’elle produit. Plus encore, elle est éco-catastrophique par ses effets sur le climat, sur la consommation de sol fertile, sur les écosystèmes, liés à son ampleur, sa vitesse et ses formes.
Si cette urbanisation n’est pas la terre promise, inous pouvons l faut alors aller à la recherche des formes due contre-exode. Les lieux périphériques et marginaux font preuve d’une résistance accrue à leur extinction crépuscule et à leur enfrichement. Des nouveaux agriculteurs favorisent leur repeuplement, alliés à des citoyens soucieux de construire une nouvelle civilisation urbaine et rurale. Le contre-exode est à la fois matériel et culturel. Il est un « retour au territoire en tant que bien commun », pour ré-animer des lieux, retrouver la mesure des vil- les et des établissements humains. Cela demande de faire grandir la « conscience des lieux », pour reconstruire des relations de synergies entre les établissements humains et l’environnement; pour promouvoir de nouvelles façons conviviales et sobres d’habiter et de produire; pour valoriser une citoyenneté active, des réseaux civiques et des formes d’auto-gestion des biens communs capables de fabriquer une richesse durable en chaque lieu du monde.
L’outil conceptuel et opérationnel que nous proposons pour initier ce “retour au territoire” est la biorégion urbaine. C’est un moyen de redessiner, à contre courant, les relations entre les établissements humains et l’environnement , en choisissant et en mettant en œuvre, comme dans la construction d’une maison, les « éléments constructifs » du projet de territoire. Ces matériaux de construction sont, à l’échelle du territoire:
- les cultures et les savoirs locaux contextuels et experts, capables de réactiver l’ars aedificandi;
- les équilibres hydrogéomorphologiques et la qualité des réseaux écologiques,conditions préalables à l’établissement humain;
- les centralités urbaines polycentriques et leurs espaces publics (villes de villages, réseaux de villes) dont la reconstruction implique l’abandon du modèle opposant centre et périphérie lèeééet la reconstruction de centralités urbaines polycentriques et de leurs espaces publics (villes de villages, réseaux de villes; des systèmes économiques locaux dont le développement tient compte de l’augmentation de la valeur des biens patrimoniaux;
- les ressources énergétiques locales dont la valorisation intégrée soutient l’autoreproduction de la biorégion;
- les espaces agro-forestiers à vocation multi fonctionnelle pour la requalification des relations ville-campagne et la réduction de l’empreinte écologique;
- le développement de systèmes économiques locaux tenant compte de l’augmentation de la valeur des biens patrimoniauxla valorisation intégrée des ressources énergétiques locales pour l’auto-reproduction de la biorégion la vocation multifonctionnelle des espaces agro-forestiers pour la requalification des relations ville-campagne et la réduction de l’empreinte écologiqueles institutions de démocratie participative et les formes de gestion sociale des biens communs territoriaux pour un autogouvernement de la biorégion.
Le projet de biorégion fait référence à des expériences en cours dans des régions d’Europe où l’urbanisation a déjà atteint un seuil critique. Elles nous indiquent des voies à suivre pour contenir le grand exode vers la méga-city, en opposant la vision d’une planète fourmillant de biorégions en réseau, et pour une « mondialisation par le bas » fondée en chaque lieu sur la gestion collective du territoire, ce bien commun.
L’auteur: Alberto Magnaghi, architect et urbaniste, est Professeur émérite à l’Université de Florence où il dirige le “Laboratorio di Progettazione Ecologica degli Insediamenti (LAPEI).
Il est Président de l’association multidisciplinare “Società dei Territorialisti” et fondateur de la “scuola territoriali sta italiana”. Parmi ses publications:
El Proyecto local. Hacia una consciencia del lugar, Edicions UPC, Barcelona, 2011
Il progetto locale: verso la coscienza di luogo, Bollati Boringhieri,Torino, 2010
“Il progetto degli spazi aperti per la costruzione della città policentrica”, in -A. Magnaghi e D. Fanfani (sous la diréction de) Patto città-campagna. Un progetto per la bioregione policentrica della Toscana centrale, Alinea, Firenze 2010.
Le public: tous ceux qui sont intéréssés aux principales transformations sociales, politiques et culturelles de notre temps.
Un extrait : Le territoire comme néo-écosystème vivant de haute complexité est donc une œuvre d’art et de science, fruit des savoirs collectifs des nombreuses générations et des civilisations qui se sont succédées au cours du processus de territorialisation de longue durée (TDR). Le paysage dans lequel nous vivons aujourd’hui est la manifestation sensible (perceptible avec les sens) de cette œuvre collective de l’histoire humaine. Une interprétation structurale du paysage décode le processus historique de coévolution entre l’établissement humain et le milieu en identifiant les invariants structuraux, les règles génétiques et les règles de transformation qui permettent la reproduction de l’identité des lieux. Ces règles, dynamiques et à réinterpréter, une fois connues, nous indiquent la voie pour la connaissance et le soin collectifs du territoire comme bien commun.
Nous pouvons schématiquement distinguer parmi les biens communs, les biens naturels (d’abord la Terre, puis l’eau, l’air, les sources naturelles d’énergie, les glaciers, les forêts, les rivières, les lacs, les mers, et ainsi de suite), et les biens communs territoriaux (les bâtiments, villes et infrastructures historiques, les systèmes agro-forestiers, les paysages, les ouvrages hydrauliques, les systèmes d’assainissement, les ports, les centres de production d’énergie et ainsi de suite) qui par dessus tout, mettent en évidence les produits historiques de l’action de l’homme de domestication et de fertilisation de la nature.
La transformation entière de l’espace de vie humaine en territoire par dix mille ans d’actes de territorialisation va constituer, à travers la diversité de ses paysages, le bien commun de l’humanité par excellence.
Quand nous parlons de la soutenabilité comme ensemble des ressources à transmettre aux générations futures, nous nous référons donc principalement au patrimoine territorial dont nous héritons depuis des millénaires de processus de territorialisation. En Toscane, les infrastructures que nous utilisons actuellement sont principalement étrusques et romaines, le paysage dans lequel nous vivons est celui du réseau dense des petites et moyennes villes médiévales et renaissantes, le paysage agraire historique que nous admirons est celui de l’époque médicéo-laurentienne. Le territoire, cet immense ouvrage d’art vivant, produit et entretenu au fil du temps par les « peuples vivants », ainsi nommés par Emilio Sereni (1972), doit être considéré comme un bien commun parce qu’il constitue le milieu essentiel à la reproduction matérielle de la vie humaine et à la réalisation des relations socioculturelles et de la vie publique.
Placer le bien commun « territoire » au centre des politiques publiques permettra de concilier la dimension qualitative et non pas seulement quantitative, des biens individuels qui le composent: l’eau, le sol, les villes, les infrastructures, les paysages, la campagne, les forêts, les espaces publics et ainsi de suite. La résolution de la plus importante des crises écologiques, qui pèse sur les écosystèmes, l’énergie, la santé, le climat, l’alimentation, les relations ville-campagne et enfin sur l’empreinte écologique, passe par la défense et la promotion des caractéristiques particulières de chaque lieu dans ses composantes urbaines, naturelles et agro-forestières car c’est sur la modalité spécifique d’interaction entre ces trois composantes que se fonde, en chaque lieu, la forme précise de la reproduction de la vie humaine, matérielle et sociale.
Cette vision du territoire comme bien commun a été attaquée sur deux fronts par la civilisation contemporaine: le premier avec la privatisation et la marchandisation de ses principales composantes, le second en reléguant le bien commun territoire à quelques zones « compensatoires » de la protection du développement.
Sur le premier front, différents facteurs concourent historiquement à la liquidation des biens communs depuis l’enclosure des commons qui se poursuit avec la privatisation progressive des usages civiques et avec la marchandisation et la privatisation de nombreux biens et services publics (comme l’eau, l’électricité, les transports, etc.). Ils transforment le citoyen utilisateur d’un service en client d’une marchandise sur le marché, les entreprises de production et de gestion des marchandises-services en multinationales en éloignant de plus en plus les centres de décision de la portée du citoyen (de la mairie aux grands multiutilities) et les sources d’énergie des lieux d’approvisionnement par des grandes infrastructures de transport sur de longues distances.
Le territoire local n’est plus connu, ni interprété ou mis en scène par les habitants comme un bien commun producteur des éléments de reproduction de la vie biologique (eau, sources, rivières, air, terre, nourriture, feu, énergie) ou sociale (relations de voisinage, conviviales, communautaires, symboliques). En ultime analyse, la dissolution des lieux, et de leur devenir, dans le cadre d’un processus général de déterritorialisation de la vie, produit une perte totale de souveraineté pour les individus comme pour les communautés locales et aussi bien du point de vue des formes matérielles, sociales, culturelles que symboliques de leur existence. L’agora et la politique s’envolent vertigineusement loin de la vie quotidienne. Elles agissent dans un hyperespace de plus en plus inaccessible globalisé, fortifié, déguisé en illusion de démocratie télématique. D’un autre coté, les formes de direction du travail, de décisions sur les consommations, sur les informations, sur les formes de la reproduction de la vie, ne sont plus reconnaissables.
Sur le second front: la notion de territoire considéré comme bien commun a été reléguée par la civilisation contemporaine à quelques aires territoriales limitées: les aires naturelles protégées, les biens culturels et paysagers ce qui a produit un « système dual » d’utilisation du territoire. D’un coté, la plus grande partie de sa surface est traitée, avec les règles de l’économie, comme un support aux établissements humains et n’est pas considérée comme un patrimoine. De l’autre, les espaces protégés de nature et d’histoire (patrimoine culturel et paysager) doivent être préservés des règles du développement.
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