Matthew Gandy
ÉCOLOGIE QUEER
Nature, Sexualité et Hétérotopie
Conversation avec Matthew Gandy dirigée par Alessio Kolioulis
Rayon: sciences sociales, écologie
ISBN: 979-10-93250-07-6
72 pages
Prix : 11,50 euros
Parution: Septembre 2015
Quelles sont les implications politiques d’une approche queer de la nature urbaine ? En dépassant la définition d’espace queer comme forme d’appropriation politique d’un espace, et en l’intégrant dans une discussion enrichie sur la complexité de la nature urbaine, nous pouvons identifier des intersections et des espaces de dialogues jusqu’alors inconnus.
L’ouvrage: Le géographe anglais Matthew Gandy a défini l’ensemble des groupes qui résistent à l’anéantissement de la richesse écologique « alliances hétérotopiques ». Une telle formulation découle d’un étude sur l’Abney Park de Londres. Abney Park fait partie des « magnifiques sept » cimetières de Londres érigés à la moitié du XIXème siècle pour faire face à la rapide augmentation de la population. Quand, à cause de sa surpopulation, le cimetière fut fermé, une longue période de décadence commença. Ce déclin Etait toutefois seulement apparent. À cause de l’abandon, à la ruine suivit, en effet, une incroyable histoire de croissance écologique. Le cimetière prit de plus en plus les apparences d’un parc, dont les bénéficiaires étaient les catégories humaines/sociales les plus radicales du quartier. Dans Écologie Queer, Gandy suggère que la présence d’une énergie omniprésente toujours capable de réinventer les vies, même dans une période de choc socio-économique comme l’actuelle. « Le parc devient donc le théâtre d’un nouvel horizon relationnel entre corps et nature, ainsi qu’entre des sexualités non conventionnelles. Un horizon qui est humain ou pas : queer, justement. »
Qu’est ce que l’Écologie Queer ?
“Queer Ecology” c’est une façon d’explorer la matérialité urbaine et le rôle des métaphores dans la théorie qui s’interroge sur les transformations des territoires à partir de la compréhension des extrêmes variations que ceux-ci décrivent.
La théorie représentée par la “Queer Ecology” sert à élargir la portée conceptuelle et matérielle de deux champs : d’un côté le domaine de l’écologie politique et les recherches de la pensée du posthumanisme, et de l’autre les nouvelles conceptions de la complexité croissante au sein de la science de l’écologie elle-même.
L’écologie queer serait donc une critique à l’homologation des sexualités, ainsi que de la façon d’habiter et de vivre l’urbain contemporain et les territoires. L’écologie queer surmonte la contradiction du capitalisme actuel en y ajoutant le principe de précaution et la primauté du vivant sur la science, reconnaissant ainsi une séparation irrémédiable entre l’être et le savoir qui doit retenir toute notre attention.
L’auteur: Matthew Gandy est professeur de Géographie à l’University College de Londres et il a été Directeur du Laboratoire urbain UCL de 2005 à 2011. Ses publications incluent Concrete and Clay: Revealing Nature in New York City (The MIT Press, 2002), Urban Constellations (Jevis 2011), et The Fabric of Space: Water, Modernity and the Urban Imagination (The MIT Press, 2014), ainsi que des articles dans “Architectural Design”, “New Left Review”, “International Journal of Urban and Regional and Research”, “Society and Space” et de nombreux autres journaux. Il étudie actuellement l’interface entre les aspects culturels et scientifiques de la nature et [la] biodiversité urbaine.
Le public: tous ceux qui sont sensibles aux nouvelles formes d’écologie et de urbanisme ainsi qu’aux transformations sociales.
Un extrait : Abney Park est un cimetière du nord de Londres fondé au XIXème siècle, aujourd’hui gagné par une végétation dense. Là, au milieu d’un dédale de chemins se dresse une chapelle néo-gothique, dont les ruines ornées de graffitis servent aujourd’hui de refuge à une ribambelle d’oiseaux, de chauve-souris, d’araignées et d’autres créatures encore. Dans la pénombre de cet espace labyrinthique, une multitude de visiteurs des plus variés coexistent en toute tranquillité : artistes, amateurs de sexe en plein air, promeneurs de chiens, alcooliques, écologues, joggeurs, amants, endeuillés, photographes, poètes, écrivains, et bien d’autres. Dans ce texte, cet espace entrelacé du Londres contemporain me servira de point de départ à une exploration des possibles intersections entre théorie queer et écologie urbaine, intersections qui pourraient faire émerger un champ conceptuel nouveau, celui de l’écologie queer.
A’ son ouverture en 1840, Abney Park est le premier cimetière non confessionnel d’Europe. Cela témoigne de l’histoire tout à fait particulière du quartier de Stoke Newington, qui fut en son temps un véritable foyer de contestation politique et religieuse.1 Le site s’étendait sur 32 acres, et comprenait, outre le cimetière, un arboretum et une roseraie tout à fait remarquables, renfermant plus de 2.500 espèces d’arbres et arbustes du monde entier. Une telle combinaison était une première en Europe. La conception du site était inspirée des plus grands cimetières européens de l’époque, à l’instar du Père Lachaise à Paris, ainsi que de celui du Mont Auburn près de Boston et en particulier de son paysage forestier. C’est d’ailleurs un exemple précoce de l’influence américaine sur l’esthétique paysagère européenne. Le parc comprenait une zone appelée « la Nature sauvage » et de nombreux « beaux vieux arbres », héritages d’un terrain paysager du XVIIème siècle. Il permettait ainsi la survie d’un paysage rural qui, dans le Londres de la fin du XIXème siècle, disparaissait à toute vitesse (Walford, 1877, p. 543). Ces caractéristiques d’Abney Park se retrouvent dans ce que l’écologue urbain Ingo Kowarik appelle la « vieille nature urbaine », dans laquelle certains éléments du paysage restés intacts confèrent à un espace son importance écologique.2
Abney Park était depuis sa création une création complexe. Il alliait des fonctions cérémonielles, pédagogiques et morales, répondant ainsi aux aspirations des classes moyennes londoniennes. Au XIXème siècle, la conception des parcs s’inscrivait en effet dans une « stratégie de réforme morale et sociale » (Cranz, 1982, p. 253) ; cette imbrication de la nature et de l’espace urbain relevait donc d’une véritable logique idéologique. Les cimetières jouaient d’ailleurs un rôle particulièrement important dans ces projets de transformation de la société, par un mélange de conceptions architecturales, de contacts avec la nature, et d’inculcation de la morale bourgeoise.3 Cependant, Abney Park s’avéra être un paysage difficile à entretenir, et ce même à l’âge d’or des jardins municipaux et de leurs nombreux employés. C’est ainsi que la pépinière ferma en 1854. Elle avait jusqu’alors été gérée par les Loddiges, famille de renommée internationale, qui avaient également supervisé la conception de l’arboretum et de la roseraie. Au cours des décennies suivantes, le mode de gestion du parc se rapprocha peu à peu de celui d’un cimetière privé.
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