Le musée de l’accident

DROMOLOGIE 02
LE MUSÉE DE L’ACCIDENT
Cahiers Paul Virilio 2022

176 pages
Prix de couverture : 20 euros
ISBN 979-10-93250-57-1

Parution : 17 novembre 2022

Depuis la parution de Dromologie 01, les accidents se sont multipliés : climatiques, géopolitiques, sociaux, migratoires, océaniques, sanitaires, etc. Tous liés entre eux et dont les enchevêtrements aléatoires ne font que renforcer l’urgence d’une écologie grise – un concept de Paul Virilio, expliquant qu’au-delà de la pollution de la nature, existe une pollution liée à l’accélération du monde.

Une réflexion qui a conduit l’urbaniste et philosophe à imaginer un musée de l’accident chargé d’exposer et d’analyser de manière critique les accidents du progrès. Ce Dromologie 02 questionne architectes, artistes (peintre, musicien, danseur, designer, etc.), philosophes, historiens, sur leur vision d’un musée de l’accident, sur cette ressource immatérielle ; tandis que plusieurs articles interrogent cette accidentologie en cours d’élaboration.

Comité éditorial : Thomas Billard, Ethel Buisson, Simon Dawes, Jac Fol, Stéphane Paoli, Thierry Paquot, Jean Richer, Sharon Rotbard, Virginie Segonne, Sophie Virilio, Hala Wardé, Eyal Wiezman.

Ont participé à ce numéro: Augustin Berque, Viana Conti, Gilles Delalex, André Delpuech, Elizabeth Diller, Nicolas Giraud, Julien Glauser, François Jarrige, Anaïs Lapel, Frédérick Lemarchand, Luca Merlini, Yann Ollivier, Françoise Parfait, Benjamin Pichery, Ernest Pignon-Ernest, Angelin Preljocaj, Edouard Ropars, Yannick Rumpala, Christian Sander, Valentin Sanitas, Francesco Sebregondi, Patrick Tosani, Laurent Vidal.

 

Du bon usage de la dromologie en temps de crises

 Tout va mal. Tout empire. Et malgré cette certitude, chacun poursuit son petit bonhomme de chemin. Fait le plein d’essence pour sa voiture. Va au centre commercial acheter des produits, finalement, inutiles. Rentre chez lui diner d’un plat passé au micro-onde tout en regardant la télé. Qui peut le lui reprocher ? Sait-il que les crises s’empilent comme les cartons des pizzas qu’il se fait livrer ? Qu’elles apparaissent comme inévitables, quasi-normales, aussi ne s’en inquiète-t-il pas. Pourtant nous le savons, les crises se succèdent et s’entremêlent en un écheveau indescriptible et sans réelle solution. Toute « crise » est un moment critique qui appelle une décision. On ne tergiverse pas, on agit. La dromologie ou connaissance de la vitesse (dromos en grec veut dire « course »), ne se prétend aucunement une « science exacte » mais la capacité à saisir les temporalités différenciées qui s’enchevêtrent en se faisant passer pour un événement unique, alors qu’il n’est qu’une pluralité d’instants pas nécessairement synchronisés, générés par des causes diverses et souvent insoupçonnables, imprévisibles, incertaines, disjointes. La linéarité des temps, leur continuité, sont des leurres. Vouloir les hiérarchiser, les homogénéiser, afin de les rendre compréhensibles revient à les confondre.

Un exemple ? La zoonose. Certes elle se déclare, vraisemblablement, le 17 novembre 2019 à Wuhan et se répand rapidement, dès décembre, dans d’autres villes chinoises, puis dans le monde entier. Penser qu’il y a là un processus temporel logique revient à doter cette pandémie d’une rationalité qui lui échappe. D’où la difficulté à prévoir ce qui va arriver et à réagir en conséquence. La vitesse de diffusion du virus, elle-même varie ici et là, selon les contextes sanitaires et les milieux plus ou moins pathogènes où il se manifeste.

Un autre exemple ? L’attaque russe de l’Ukraine. Les autorités russes pensaient certainement surprendre les puissances occidentales, les contraindre à l’inaction ou à la désespérance et vaincre les Ukrainiens au cours d’une guerre-éclair. Ils ont échoué et sont obligés de mener un conflit traditionnel de conquête territoriale en déployant des troupes et leurs engins de mort chez « l’ennemi » selon une tactique visant à affaiblir toute résistance locale, sans perdre trop de soldats, à terroriser les civils, à détruire les infrastructures, à bombarder les usines, à violer les femmes, etc. Ce qui, pour l’état-major russe, devait être l’affaire de quelques jours se transforme en un combat sans fin. Là, aussi l’appréciation temporelle s’est révélée insuffisante. La vitesse d’intervention russe a été ralentie par la relative lenteur de la riposte ukrainienne. Cette différence entre ces deux temps a finalement joué en faveur des attaqués, laissant les attaquants incapables de s’emparer du pays en une simple opération militaire. Il n’y a pas de guerre « propre », rapide, efficace, définitive, comme l’opération de l’appendicite. Toute guerre est sale, détestable, meurtrière et possède son lot d’imprévus et de surenchères barbares.

Encore un autre exemple ? L’abstention aux présidentielles. La crise démocratique semble endémique, sa temporalité épouse celle du siècle qui s’écoule. Le premier parti politique – qui n’en est pas un – regroupe tous les abstentionnistes. Et cela va durer. On parle alors de « perte de confiance » des électeurs envers la « classe politique », on appelle à un profond renouvellement des candidats, à d’autres modalités de nomination des représentants des citoyens (tirages au sort, mandat tournant, référendum d’initiatives populaires…), on reparle du droit de vote pour les immigrés, pour tous les jeunes dès 16 ans, que sais-je encore ? La crise ici est irréversible. Elle n’a aucune solution. À dire vrai, ce n’est pas une « crise », comme on parle de « crise énergétique », de « crise climatique », de « crise ministérielle »…En fait cette « crise » n’en est pas une, compte tenu de sa persistance. La démocratie représentative est fatiguée, les professionnels de la politique semblent vivre dans un autre monde que celui des électeurs, ceux-ci veulent avoir prise sur leur destin, sans toutefois s’y investir. Cela me rappelle les limites de la participation des habitants lors d’un projet d’urbanisme qui s’apparente bien souvent à un jeu de rôle, les décideurs parlent leur langue et les habitants ne savent pas comment se faire entendre avec la leur…Comment échanger sans prendre le temps d’écouter l’autre et de formuler ce qu’il ne parvient pas à dire ? C’est là, où la dromologie intervient. Elle assure à la divagation sa pertinence, elle attribue au temps sa dimension vagabonde, elle honore le détour, l’à-côté, le no man’s time qui est au temps ce que le no man’s land est au territoire.

Alors que penser de ces « crises » qui sont aussi des « accidents » ? Paul Virilio a énoncé une loi fondamentale que l’on peut résumer ainsi : « Tout progrès génère son accident ». Ainsi le « progrès » n’est-il pas toujours « progressiste ». On le constatait, le subodorait, sans oser le proclamer. Toute la société productiviste s’applique à ajouter à son chapelet des nouveaux « progrès » techniques qu’il paraît aberrant de le briser et de laisser chacune de ses perles rouler à terre… Non, on doit, au contraire, les admirer et psalmodier notre attachement à cet évolutionnisme garant de notre bien-être. Pourtant, plus les techniques communicationnelles se sophistiquent moins nous ne nous entendons et pouvons nous exprimer. Il y a des parasites qui entravent la diffusion des messages… Toute technique n’est pas exempte d’imperfections. Il en est de même des trois « crises » que je mentionnais : la covid produit des « variants » qui rend le vaccin moins vaillant ; l’attaque militaire russe de l’Ukraine pour dénazifier ce pays et son peuple emprunte au IIIème Reich sa propagande mensongère et son arrogance ; quant aux élections « démocratiques » elles patinent sans réussir à embrayer aux attentes élémentaires des habitants…

Pour révéler les mécanismes à l’oeuvre dans ces « crises accidentelles » Paul Virilio nous encourage à ouvrir une « Université du désastre » et un « Musée de l’accident ». Nous en sommes là. Et nous nous y attelons hardiment. Nous commencerons par le « Musée de l’accident » dans ce numéro deux, avec la réédition d’un texte de Paul, des dessins de Hala Wardé, un Manifeste de Sophie Virilio, des suggestions d’une dizaine d’artistes et intellectuels (comme Ernest Pignon-Ernest, Édouard Ropars, Anaïs Lapel, Viana Conti, Augustin Berque, Yannick Rumpala…) et quelques articles incitateurs à accidentaliser notre manière de voir l’accident lui-même signés par Ethel Buisson, François Jarrige, Stéphane Paoli, Jac Fol, Jean Richer, Virginie Segonne, Laurent Vidal…. Une première brassée de textes s’évertue à temporaliser ce qui est arrivé et qui arrive encore, démontrant, une fois de plus, que nos certitudes sont conditionnées à ce qui les invalident…

Tout va mal. Il suffit d’observer notre pauvre petite Planète si malmenée, comment s’obstiner au contraire ?

Tout empire. Paul Virilio en avait conscience et parlait de philofolie.

Je regarde autour de moi et constate que l’eau va manquer, que l’humus s’abîme, que les forêts s’enflamment, que le désert ne cesse de croître, que les océans meurent, que les mégalopoles énergivores entassent des millions d’urbains dans des garages dont ils s’en satisfont, que les moyens de communication les isolent les uns des autres, que la destruction des paysages par le productivisme leur apparait normale… Les Terriens n’ont-ils plus d’esprit critique ? Ils semblent se complaire dans cette société de consommation absurde qui confond accumulation de marchandises et bonheur. Ils adhèrent à ce qui les subordonne avec une incroyable satisfaction, on dirait qu’ils affectionnent la « « servitude volontaire » de La Boétie, dont ils n’ont jamais entendu parler.

Nous refusons cette situation aux allures de capitulation !

Nous nous en insurgeons !

Notre résistance, bien modeste nous le savons, se concentre dans cette revue imprimée, dans ces lignes d’encre, dans ses cris étouffés, dans ces propos que nous espérons émancipateurs… Il y a longtemps déjà, Gaston Bachelard, un vieil ami à chacun de nous, nous invitait à redonner à la pensée sa turbulence. Oui, face au dérèglement climatique nous enfonçons le clou pour déclencher un dérèglement météorologique des esprits…Tout va mal, tout empire, prenons le parti du gai savoir de la contestation !

Ô chères lectrices, chers lecteurs, nos sœurs, nos frères, bonne lecture !

34 comments for “Le musée de l’accident

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